Par Freddy Mulongo, mercredi 5 mai 2010
1. Paul Kagame, Président de la République du Rwanda
Une silhouette tout en longueur, des petites lunettes d’intellectuel, des costumes soignés. Le physique lisse de Paul Kagamé évoque plus l’homme politique moderne que l’ancien chef de guerre qu’il a été et son rôle trouble dans l’histoire de son pays. Président depuis 2000, le processus de réconciliation enclenché par l’Etat suite au génocide de 1994 lui sert largement à asseoir son pouvoir et à neutraliser l’opposition. Kagame ne tolère aucune question embarrassante lors de ses conférences de presse, dénigre régulièrement les journalistes et qualifie les médias critiques de "Radio Mille Collines". Chaque année, plusieurs journalistes rwandais choisissent l’exil, jugeant le climat irrespirable dans leur pays. Le président Kagame n’en a cure : pour lui, ces journalistes sont des "mercenaires" et des "clochards". La BBC a été interdite de diffusion l’année dernière suite à une émission revenant sur le génocide et s’écartant de la ligne officielle. Les journaux Umuseso, bête noire du régime, et Umuvugizi sont régulièrement inquiétés pour leur ligne éditoriale et leurs responsables poursuivis en justice. Les deux publications ont été suspendues pour six mois lors de l’élection présidentielle de 2010. Diffamation, immixtion dans la vie privée, offense à la personne du président de la République, ce genre de mobiles est utilisé à tour de bras par le ministère de l’Information, ou le Haut Conseil des médias, son antenne de régulation fort peu indépendante. Cerise sur le gâteau, le capital de départ exorbitant désormais exigé pour la création d’un média (41000 euros, par exemple, pour le lancement d’un journal écrit), moyen efficace de freiner la diversification du marché de la presse.
2.Yahya Jammeh, Président de la République de la Gambie
Guérisseur, médecin ayant percé le mystère du sida, de l’obésité et de l’érection, Yahya Jammeh a tout du dictateur délirant, imprévisible et violent... Il a promis de couper la tête aux homosexuels pour nettoyer la société gambienne. Il se dit prêt à tuer quiconque cherche à déstabiliser le pays, en premier lieu les défenseurs des droits de l’homme, ces empêcheurs de tourner en rond : « Si vous êtes affiliés à des mouvements de défense des droits de l’homme, soyez assurés que votre sécurité n’est pas garantie (…) Nous sommes prêts à tuer les saboteurs. » A bon entendeur… Certains pensent que le dictateur s’enfonce lentement dans la paranoïa, comme semble le montrer l’arrestation récente d’une dizaine de ses proches pour tentative de putsch. L’affaire non résolue Deyda Hydara, ancien correspondant de l’AFP et directeur du trihebdomadaire The Point, abattu dans la rue en 2004, continue d’alimenter le face à face entre la presse indépendante et le régime. L’Union de la presse gambienne (GPU) a eu le courage d’adresser au chef de l’Etat en 2009 une lettre lui demandant de reconnaître l’implication du gouvernement dans cet assassinat. Réponse : six professionnels condamnés à deux ans de prison pour « diffamation » et « sédition » ; et une grâce après un mois de détention. Car Yahya Jammed sait faire preuve de mansuétude. La plupart du temps, toutefois, pas besoin de chef d’inculpation pour enfermer les journalistes. Chief Ebrima Manneh, journaliste au Daily Observer, arrêté en 2006 sans chef d’inculpation, disparu depuis, serait même mort en prison en 2008.
3.Zine el-Abidine Ben Ali, Président de la République Tunisie
Depuis son arrivée au pouvoir en 1987, Zine el-Abidine Ben Ali contrôle le pays et les médias d’une main de fer. Sa réélection en octobre 2009 pour un cinquième mandat de cinq ans a conduit à un rétrécissement du champ des libertés. Au début de son quatrième mandat en 2004, le président Ben Ali avait pourtant déclaré vouloir poursuivre son action "en vue d’encourager le pluralisme dans le paysage médiatique, (...) en élargissant les espaces de dialogue, en impulsant l’initiative privée dans le secteur de l’information, et en améliorant les conditions de travail et la situation des journalistes". Mais sous la "douce dictature" de Ben Ali, les journalistes indépendants et les défenseurs des droits de l’homme sont soumis à un véritable harcèlement administratif quotidien, à des violences policières et à une surveillance quasi permanente des services de renseignements. Le 24 octobre 2009, à la veille de sa réélection, Zine el-Abidine Ben Ali a d’ailleurs averti ses détracteurs : "La loi sera appliquée contre quiconque émettra des accusations ou des doutes concernant l’intégrité de l’opération électorale, sans fournir de preuves concrètes". Les hommes de main du régime n’ont pas tardé à mettre ces menaces à exécution. Au moins dix journalistes indépendants ont été victimes de représailles sans précédent. Le pouvoir n’hésite pas à monter des affaires pour emprisonner ceux qui le gênent. Le contrôle d’Internet s’est considérablement renforcé. En outre, au cours de leurs déplacements professionnels en Tunisie, les journalistes étrangers sont constamment accompagnés d’un fonctionnaire de l’Agence tunisienne de communication extérieure. Le contrôle de l’information prend une forme quasi obsessionnelle dans ce régime autoritaire. Toutefois, le président tunisien, allié des Occidentaux dans leur lutte contre le terrorisme, bénéficie d’une grande mansuétude de la part des organismes internationaux.
4. Robert Mugabe, Président de la République du Zimbabwe
Le chef de l’Etat zimbabwéen a certes déclaré, début mars 2010, que le Zimbabwe Media Council, organisme chargé de délivrer aux journaux leurs licences, devait ouvrir l’espace des médias. Mais ses paroles ne trompent pas grand monde. Dans les faits, Robert Mugabe freine des quatre fers, empêche le gouvernement d’union nationale de fonctionner convenablement, veille à ce que la presse indépendante ne puisse s’exprimer librement, et assure, avec son entourage, un contrôle strict sur la presse d’Etat. Suite aux difficultés électorales rencontrées par son gouvernement en 2008, Robert Mugabe a décidé de donner un nouveau tour de vis. Des rédacteurs en chef ont été placés sous surveillance électronique afin de mesurer leur fidélité au parti, et des militants de l’opposition ont été enlevés et jugés, au cours de procès grotesques, pour "complot terroriste visant à renverser le président Robert Mugabe". Le chef de l’Etat, pourtant salué comme un "libérateur" à sa prise de pouvoir dans les années 1980, assume pleinement les arrestations arbitraires et le harcèlement dont sont victimes la plupart des professionnels de l’information du pays. En 2002, il a été l’artisan de la loi sur "la protection de la vie privée et l’accès à l’information" (AIPPA), laquelle avait pour unique but de venir à bout de la presse indépendante, notamment The Daily News, le quotidien le plus lu du pays à l’époque. Si aujourd’hui le peuple zimbabwéen est privé de quotidiens et de radios indépendants, c’est à son Président qu’il le doit.
5.Teodoro Obiang Nguema, Président de la République de la Guinée Équatoriale
Les années passent, mais rien ne change dans le "Koweït de l’Afrique", royaume immobile d’un président que la radio nationale présente comme le "Dieu de la Guinée équatoriale". Fin 2009, Teodoro Obiang Nguema a été réélu chef de l’Etat avec pas moins de 96,7% des voix, au terme d’une élection présidentielle que plusieurs médias internationaux, comme le quotidien espagnol El Pais, ont été empêchés de couvrir. Teodoro Obiang Nguema garde un contrôle absolu sur ce petit pays pétrolifère du golfe de Guinée. La presse privée est en effet limitée à quelques titres. Le pays ne compte ni syndicat ni association de défense des journalistes. Enfin, la mainmise sur l’économie du pays par le chef de l’Etat et sa famille est accompagnée par un culte de la personnalité écrasant. La presse étrangère ne compte qu’un seul et unique correspondant, étroitement surveillé. Malgré cela, les autorités continuent d’affirmer que l’absence de pluralisme s’explique par la pauvreté et que les scores importants que réalise le chef de l’Etat lors des élections "sont la conséquence de l’acceptation de sa politique".
6.Mouammar Kadhafi,Chef de l’Etat et Guide de la Révolution de la Libye
Depuis l’avènement de la révolution verte en 1969, Mouammar Kadhafi s’est écarté de l’idéologie socialiste originelle. La fin de l’isolement diplomatique du pays a eu des conséquences significatives sur l’économie libyenne, sans pour autant avoir d’effet réel sur la liberté de la presse. Les journalistes ne bénéficient en effet que très lentement de cette décrispation du régime. Dépourvus de toute marge de manœuvre, ils servent avant tout la machine de propagande du chef de l’Etat. Le culte de la personnalité est omniprésent sur les murs du pays, comme dans les médias officiels. Si pour la première fois depuis l’arrivée au pouvoir du colonel Mouammar Kadhafi, des médias non gouvernementaux avaient été autorisés en 2007, ils restaient contrôlés par la société Al-Ghad de Seif al-Islam Kadhafi, un des trois fils de Mouammar Kadhafi, avant d’être soit nationalisés, soit interdits de publication entre juin 2009 et janvier 2010. Le pluralisme de l’information reste donc toujours un mirage, malgré l’autorisation accordée, en février 2009, à quatre-vingt-dix journaux et publications arabes et étrangers après 25 ans d’interdiction. Depuis janvier 2010, une campagne de censure d’Internet vise les sites d’opposition. Par ailleurs, les médias étrangers sont placés sous surveillance et leurs représentants obtiennent difficilement des visas.
7. Mswati III, Roi du Swaziland
40% de la population atteinte du sida, un taux de pauvreté qui augmente en flèche, aucune économie viable, des investisseurs étrangers qui ont jeté l’éponge. Le Swaziland connaît un véritable processus d’autodestruction. Il y a derrière cette déroute un responsable : le roi Mswati III. Pas de gestion, pas de vision, ce monarque absolu use et abuse de ses droits régaliens. Qu’aucune tête ne dépasse ! les partis politiques sont interdits et à quoi serviraient-ils dans un pays qui n’a jamais connu d’élections démocratiques ! La presse publique diffuse uniquement des informations contrôlées et validées par le ministère de l’Information. Les journaux indépendants ont d’énormes difficultés à accéder à l’information officielle. L’autocensure est généralisée, la critique inimaginable. Les autorités rappellent régulièrement aux journalistes la conduite à tenir, comme en novembre 2008, lorsque le ministre de la Justice a menacé les journalistes qui critiqueraient le gouvernement d’être immédiatement "accusés de soutenir le terrorisme et arrêtés". En janvier 2009, après une série d’articles iconoclastes, un journaliste du Times of Swaziland, seul journal privé du pays, a été contraint de présenter des excuses publiques au roi.
8.Issaias Afeworki, Président de la République de l'Erythrée
La République d’Erythrée a la particularité d’être la plus jeune d’Afrique, mais aussi d’avoir à sa tête le dictateur le plus impitoyable du continent. L’ancien chef rebelle, hier héros de la libération ne cache pas son penchant pour le totalitarisme. Pour lui, la souveraineté du pays a un prix. Les libertés sont officiellement "suspendues" depuis 2001, après que des voix se sont élevées au sein du parti unique pour réclamer plus de démocratie. Toute velléité de contestation est une atteinte à la "sécurité nationale". La presse privée n’existe plus. Ne subsistent que les médias d’Etat, dont la ligne éditoriale est digne de l’époque soviétique. Ce territoire bordé par la mer Rouge, dirigé d’une main de fer par une petite clique ultranationaliste rassemblée autour du chef de l’Etat, est devenu, en quelques années, une véritable prison à ciel ouvert, la plus grande d’Afrique pour les journalistes. Une trentaine d’entre eux environ sont enfermés dans l’un des 314 centres de détention que compte le pays. Quatre n’ont pas survécu à des conditions de détention d’une cruauté inouïe. D’autres ont littéralement disparu. Mais lorsque Issaias Afeworki est interrogé sur le sort des journalistes emprisonnés, il répond, comme en mai 2008 sur la chaîne Al-Jazira : "Il n’y en a jamais eu. Il n’y en a pas. Vous êtes mal informés."
9. Inspecteur général de la police nationale du Nigeria
Près d’une vingtaine d’exactions contre les journalistes pendant le premier trimestre en 2010 ; 58 en 2009. Beau record. Toutes ces violences ne sont pas le fait de la police, certes, mais une grande partie oui. Le Nigeria est un des pays les plus violents contre les journalistes et la police national, dirigée par Ogbonna Onovo, a sa part de responsabilité. Au Nigeria, les policiers jouissent d’une impunité totale, même quand les exactions sont très bien documentées. Les attaques peuvent survenir pendant des opérations policières quand les agents des forces de l’ordre, s’agaçant des témoins, s’en prennent aux journalistes venus faire leur travail de reportage. Menaces verbales, passages à tabac, perquisitions vexatoires, confiscations de matériel, etc. Pas de ligne de conduite politique, pas d’instrumentalisation par un pouvoir, non, juste une police bête et méchante qui fait son travail avec beaucoup de zèle. Derrière ces faits, un responsable : Ogbonna Onovo, inspecteur général de la police nationale, au faîte d’une belle carrière. Distinctions, honneurs, officier de l’Ordre du Niger, en l’occurrence pour ses « incroyables accomplissements ». Il peut maintenant se prévaloir d’une récompense de plus, celle de « prédateur de la presse » par Reporters sans frontières.
10. Milices islamistes armées - Somalie Al-Shabaab, Hizb-Al-Islam
Epuisée par vingt ans de guerre, la Somalie ne connaît décidément aucun répit. Les insurgés islamistes, dans le passé unis contre les troupes éthiopiennes et maintenant perdus dans les rivalités et les contradictions, n’ont fait qu’ajouter au chaos en menant, depuis 2009, une guerre de harcèlement contre le fragile gouvernement de transition. Porteurs d’un islam rigoriste, ils interdisent le cinéma, les jeux vidéo et la musique sur les stations de radio. Parmi eux, Al-Shabaab (« la jeunesse ») émerge comme le groupe le plus important et le plus structuré. Il mène une campagne de terreur et d’assassinats ciblés visant les membres les plus éminents de la société civile, coupables de servir les intérêts des "Croisés", les Occidentaux. Des dizaines d’enseignants, d’universitaires, d’hommes politiques ont été tués. Des journalistes également, qui sont par nature des ennemis. En 2009, neuf d’entre eux ont été victimes du conflit ou directement pris pour cibles par les milices, toutes factions confondues. En l’espace de quelques mois, Radio Shabellea payé un lourd tribut perdant son directeur, Mukhtar Mohamed Hirabe, et trois journalistes. D’autres membres de la rédaction ont préféré fuir le pays. Al-Shabaab contrôle une grande partie du territoire, possède ses propres prisons, procède à des arrestations et exécute des peines. Il impose des directives aux journalistes pour couvrir l’actualité. En mai 2008, le groupe a tenté d’assassiner Bisharo Mohammed Waeys, dernière femme à exercer publiquement le métier de journaliste au Puntland, indépendante et ne portant pas le voile. Tout un symbole.